Point-Cœur Saint-Martin-de-Porres
Pérou
Ville : Lima (9 millions d’habitants)
Quartier : Ensenada del Chillon (50 mille habitants) dans le district de Puente Piedra au nord de Lima
Date de fondation : 16 octobre 1991
Fête du Point-Cœur : 3 novembre
Présentation pays et quartier :
Le Pérou est partagé entre trois grandes zones géographiques : les Andes (Sierra), la jungle (Selva) et la côte (Costa) désertique. Lima est une ville portuaire construite en plein désert en bord de mer.
La Ensenada est un quartier qui est situé au Nord de Lima, non loin de la Panamericana qui traverse Lima du Nord au Sud. Il y a 30 ans, La Ensenada n’était que « cerros » (collines) et poussière. Depuis beaucoup de péruviens de la Sierra ont quitté la pauvreté des montagnes pour chercher du travail à Lima et ont annexé les « cerros » entourant la capitale. Aujourd’hui, La Ensenada a toujours ses collines et sa poussière, mais des petites maisons de toutes les couleurs ont poussé et continuent de pousser comme des champignons, s’accrochant toujours plus haut sur le flan de la colline. Dans l’ensemble, La Ensenada est un quartier pauvre où les derniers arrivés qui ont construit leur petite maison de bois et de tôle tout en haut du « cerro » n’ont pas l’eau courante ni l’électricité.
Apostolats extérieurs :
- Villa Martha : orphelinat accueilliant 80 enfants de 0 à 18 ans
- Maranguita : centre de détention pour des garçons âgés de 15 à 20 ans
- Pachacutec : quartier plus au nord, collé à l’océan, plus pauvre encore que la Ensenada. Les volontaires y visitent en particulier une famille (Mathilde et ses trois filles Cielo, Angela et Hannah)
Rencontres ou sorties organisées par le Point-Cœur :
- Camp d’été avec les enfants et adolescents du quartier chez les sœurs à Guayabo
- I-School mensuelle avec les jeunes du quartier
- Soirée hebdomadaire avec les adolescents : foot, volley, film-échange, jeux de société, travaux manuels, etc.
- Nuit d’adoration mensuelle
- Sorties avec les jeunes du quartier : pique-nique, cinéma, visites culturelles, etc.
Projet en cours :
- En lien avec la paroisse du quartier : mise en place d’un soutien aux personnes âgées et/ou dans le besoin (distribution de paniers repas, etc.)
Lire des témoignages des volontaires
Dimitrio « Prie pour moi. »
Face à la vie et puis la mort… Yann du Point-Cœur de Lima face à la mort, la souffrance, la prière, la paix…
« Hola Yann ! Tu vas où ? A la messe non ? » C’est Dimitrio.
Il est quasi 7h du matin et, en effet, je vais à la messe. Je suis en retard et je trottine donc seul dans la rue en espérant rattraper ma communauté ayant abandonné tout espoir de m’attendre. C’est sans surprise que je rencontre Dimitrio qui, chaque matin, nous voit passer devant sa maison pour aller à la messe. Il nous salue chaleureusement et, à notre retour, nous entamons les conversations : « Oui ! Comme toujours ! Comment ça va ? — Bien, bien, prie pour moi, oui ? — Euh oui bien-‐sûr ! Pour toi et ta famille ! Oui ? — Ya ya ! » Il me tapote l’épaule et je continue ma route emportant un sourire avec moi. Dimitrio, c’est un homme de soixante-dix-neuf ans, une personne aimée du quartier car très gentille et aimable. Je me demande quels soucis il doit avoir pour me demander de prier pour lui si directement. La journée passe, la nuit s’installe. Je raccompagne Gladys, une personne âgée qui a besoin d’aide pour porter tout un tas de trucs jusqu’à la petite baraque qu’est sa maison. En passant dans la rue de Dimitrio, il y a de l’agitation, un attroupement, et, en se rapprochant, des pleurs. Un infarctus. C’est la réponse qu’on nous donne quand Gladys demande la raison de cette agitation. Dimitrio a eu un infarctus et est inconscient. Gladys le connaissait, ses yeux s’humidifient et commencent à briller dans la nuit. Les ambulances sont bloquées dans le trafic. Ils vont essayer d’y aller par leurs propres moyens. Après un moment à poser des questions, Gladys veux partir. Sur le chemin, elle annonce la triste nouvelle au voisinage avec un pessimisme ou un réalisme qui me surprennent. Il est déjà mort pour elle. J’essaie de donner un peu d’espoir à notre vielle amie qui s’efforce de me sourire et je me rends chez notre ami, inconscient. Mes pensées rythment ma marche qui s’accélère. Que penser ? Mort, vivant. Ça paraît irréaliste pour cette personne qui fait systématiquement partie de notre quotidien. L’attroupement s’est intensifié autour d’une voiture, devant la maison du souffrant. Les voisins alarmés sont tous là. De la voiture, on sort la silhouette d’un corps enroulé dans un drap blanc, et on l’emmène dans la maison. Les urgences ne venant pas, ils ont essayé d’amener le mourant vers l’hôpital par leurs propres moyens. Dimitrio est mort sur le trajet. A l’arrière de la voiture, il y a un jeune qui pleure, le fils. Ce fils paraît d’habitude comme un homme mais, là, c’est un enfant. L’armure a craqué de part en part, et a cédé place à une lame qui vient de trancher sec, le lien qui l’unissait à son père, et qui l’avait construit tout au long de son existence, depuis sa naissance. Je voudrais lui laisser de l’intimité mais je ne peux me résoudre à détourner le regard. Je me sens si près de lui, je ne peux rien voir d’autre, il y a lui, sa peine et moi. Mon cœur s’alourdit pas seulement pour Dimitrio, mais pour cette personne qui souffre tant de sa mort. Mon regard se porte sur les autres, il y a ceux qui pleurent et ceux qui regardent les autres pleurer.
Tout ça s’est passé la veille. Aujourd’hui je suis face à Dimitrio, enfin de son corps. Il y a des fleurs, des amis, les voisins, la famille et Dimitrio dans un cercueil. Et puis, il y a nous, Agustina et moi, Points-Cœur. Compassion et consolation. Je regarde Dimitrio et je me remémore les dernières paroles qu’il m’avait adressé : « Prie pour moi. » Oui, mon frère, je vais prier pour toi, le repos de ton âme et pour ta famille. Et nous commençons le chapelet ensemble, debout, nous parlons au ciel pour Dimitrio. La paix s’installe en moi et je sens qu’une nouvelle étoile veille au-dessus de nos têtes. Je crois même que je souris. La Pâque est proche, elle vient, et avec elle la Rédemption et la promesse de la vie éternelle. La paix s’installe.
« Qu’est-ce que je peux faire avec l’argent de mes fils, si c’est de leur amour dont j’ai réellement besoin ? »
Il est bien une pauvreté plus profonde que tout, celle de la solitude. C’est le cri des amis du quartier de la Ensenada, où Point-Cœur qui existe depuis 26 ans ! Gaétan nous raconte ces rencontres.
Je souhaiterais partager avec vous une des souffrances à laquelle nos amis sont confrontés, pour vous permettre d’entrer plus dans la réalité du quartier : Une des grandes souffrances dans notre quartier n’est pas la pauvreté matérielle, même si toute la partie haute de la Ensenada n’a toujours pas accès ni à l’électricité, ni à l’eau potable. Nous avons des amis qui vivent dans une pauvreté extrême, ne sachant pas si le lendemain, ils auront assez pour nourrir leur famille. Néanmoins, ce n’est pas une réalité toujours visible lors d’une rencontre, car ils reflètent l’espérance et sont persuadés de ne pas être seuls dans cette lutte quotidienne. Ils savent bien valoriser l’essentiel, être conscients de tout ce qu’ils reçoivent, d’ailleurs bien mieux que nous. La souffrance avec laquelle nos amis sont souvent confrontés est la solitude. « Qu’est-ce que je peux faire avec l’argent de mes fils, si c’est de leur amour dont j’ai réellement besoin ? » nous a commenté Gloria (soixante-quatorze ans), en parlant d’un de ses fils parti aux États-Unis il y a quelques années. Il est parti à l’occasion d’une opportunité professionnelle plus favorable et, avec l’espoir de commencer une nouvelle vie en laissant sa fille, ses frères et sa mère dans le quartier. Gloria est une grande amie du Point-Cœur, qui se rappelle très bien de l’arrivée des premiers missionnaires. Depuis qu’elle est petite, elle a beaucoup souffert. Elle a commencé très tôt à travailler pour ses parents, sans pouvoir terminer l’école. Ses parents l’ont ensuite envoyée, avec ses frères, à Lima où elle a été plus ou moins exploitée, continuant à travailler dans la maison de son oncle. Quelques années plus tard elle s’est retrouvée mère célibataire de quatre enfants. Elle n’a pas arrêté jusqu’à ce que ses enfants aient grandi et soient devenus indépendants. Son plus grand souhait était de transmettre tout son amour à ses enfants, tout ce qu’elle avait trop peu reçu pendant sa jeunesse. Lors d’un dîner dans notre maison, elle nous a raconté l’histoire de son fils et nous a raconté ce que je cite plus haut. C’était une très belle rencontre, car Gloria ne s’était jamais tant ouverte à nous. En même temps, voyant la tristesse sur son visage, nous avons découvert sa plus grande souffrance, celle de la solitude. Cette solitude d’une mère qui a laissé partir son fils, qui n’est pas prêt de leur rendre visite, car un retour au Pérou serait trop compliqué. La solitude d’un fils immigré dans un pays étranger, loin de sa famille, probablement traité comme un migrant de plus, pas vraiment accepté ou respecté par les autres. Quel sentiment si étrange, de connaître l’histoire d’un « migrant de plus », de connaître le quartier dans lequel il a grandi, sa maison, d’être assis autour d’une table avec sa mère, qui est notre amie et avec laquelle nous partageons cette souffrance.
La solitude a tant de visage dans notre quartier : Jhimmy (quarante ans), qui vit dans une maison avec une grande partie de sa famille, mais qui ne se sent pas en confiance avec ceux qui l’entourent. Estrella (seize ans), qui vient d’accoucher et vit avec son petit ami dans une toute petite chambre de sa maison. Ses parents ont séparé la chambre du reste de l’habitation, car ils ne veulent pas qu’elle participe à la vie familiale. Abuela Maria (abuela veut dire grand-mère), soixante-dix-huit ans, de retour dans le quartier, après avoir passé quelques mois en province. Ses genoux ne lui permettent plus de marcher, elle se retrouve donc immobile dans une pièce de sa maison. Son fils, qui vit à proximité de sa maison est rarement auprès d’elle et elle n’a presque pas de contact avec ses amis, du fait qu’elle ne sort plus de chez elle. Daniel (treize ans), dont les parents ne s’occupent pas, car le père travaille toute la journée et la mère, ayant un retard intellectuel, n’est pas capable d’être autoritaire envers son fils. Ce qui fait qu’il se retrouve souvent à traîner dans les rues.
Souvent, ce n’est pas facile de se rendre compte de ce que Gloria a pu vivre pendant les cinquante dernières années et continue à vivre aujourd’hui, ce qu’Estrella ressent avec son fils dans sa chambre ou ce que Daniel pense, quand il ne veut pas quitter le Point-Cœur pour retourner chez lui. En sortant des visites, après avoir passé du temps avec nos amis, je me demande de qu’elle manière pourrais-je ressentir mieux leurs souffrances pour pouvoir les comprendre davantage et les accompagner. « Ce n’est pas la pauvreté pour la pauvreté, c’est la pauvreté comme expression de compassion. La pauvreté est d’abord une question de cœur : « Heureux les pauvres de cœur ! » (Mt 5, 3) La pauvreté est d’abord une question d’être … » En relisant ces citations des lettres qui ont été envoyées aux premiers missionnaires, je me redis : l’importance ce n’est pas de tout comprendre. On ne nous demande pas de ressentir les mêmes souffrances que nos amis, on ne nous demande pas de vivre d’une manière encore plus simple pour s’identifier à la vie de nos amis les plus pauvres, car « jamais nous ne serons pauvres comme les pauvres que nous côtoyons». Par contre, ce qui nous est demandé, c’est d’être présents auprès d’eux, présents avec toute notre attention, nos faiblesses, nos limites, nos incompréhensions. « La seule soif que l’homme poursuit d’âge en âge, est celle d’une présence. »
Stupéfaite de tant de beauté !
Bénédicte vient de rentrer en France et nous parle de ses au-revoirs, de ces mois à la Ensenada, des ses amis…
Cette mission dans le cadre de Points-Cœur me laisse stupéfaite. « Bien curieux », pourriez-vous dire. Je pense pourtant que c’est le terme le plus approprié. Stupéfaite de la beauté de ce que j’ai pu voir. Stupéfaite de ces amis, stupéfaite de ceux qui ont suivi une mission à mes côtés, stupéfaite de l’œuvre de Dieu pour moi. « Le Puissant fit pour moi des merveilles, Saint est son nom », proclame Marie dans le Magnificat. Il m’a été difficile de partir, j’avais presque envie de suggérer, comme Pierre l’a fait durant l’épisode de la Transfiguration : Seigneur, ici je voudrais planter une tente. Je veux rester. Je suis habituée à ce quartier, j’aime ce pays, j’aime cette langue, j’aime mes amis, j’aime la famille que j’ai acquise à la Ensenada. Donc : pourquoi partir ? Mais j’ai aussi appris quelque chose. La beauté est un don de Dieu, et c’est Lui aussi qui nous donne la possibilité d’en être réceptifs. Que ce soit admirer le soleil couchant sur les maisons poussiéreuses, admirer les premiers pas de Roxana, une enfant de Villa Marta. Admirer la dextérité de Raquel quand elle cuisine. Admirer les grandes collines de la Ensenada, alors que je me demandais comment je pourrais un jour m’y habituer. Et nous ne pouvons pas détenir la beauté. On ne peut pas l’enfermer dans ses plans personnels…I l me faut donc accepter de ne pas perdurer dans ce quartier, alors qu’en lui j’ai trouvé mille étoiles de beauté, plus qu’en vingt ans passés en France. Je rentre donc, tellement reconnaissante de ce que j’ai pu voir !
La « despedida » : le départ
Le mot est petit pour parler d’un moment fort. En un mois, l’objectif est de visiter toutes les familles que je connaissais. J’annonce à mes amis que je pars, je les invite à la messe d’action de grâce, qui a lieu le dernier dimanche avant l’avion. Les amis sont toujours peinés, certains plus que d’autres. « ¿ Porque te vas ? », telle est la question. Mais ils se réjouissent beaucoup de mes plans en France : « Tu étudies le droit… tu vas être avocate ? Tu vas revoir ta famille, ta maman doit beaucoup de manquer… Salue-les de ma part ! ». Les réactions des enfants sont souvent bien différentes des adultes. Parfois, la nouvelle atterre les adultes autant que l’annonce d’un décès. Je ne peux pas nier que ce soit triste, car les chances de se revoir sont minces. Mais si ce n’est pas un « au revoir », c’est donc un « à Dieu ». Je suis sûre que nous nous reverrons, si ce n’est sur terre, ce sera près de Dieu. Dario, un jeune de Maranguita, m’a prévenue qu’il préparerait ses blagues pour que l’on se les raconte durant l’éternité. Du côté des enfants, la légèreté l’emporte. Michel me demandait si on allait fêter cela avec des gâteaux. Nombre de petits m’ont étouffée de leurs bisous. Kelly me serre très fort et longtemps dans ses bras, en me disant ce qu’elle avait au fond du cœur. Puis elle me regarde en souriant : « Tu sais, moi aussi je vais faire ma despedida. Mon papa cherche une nouvelle maison et on va déménager. Comme toi, je ferai une grande fête ». Ainsi nous nous comprenions !
J’aurais aimé vous parler de toutes les personnes qui ont joué un rôle dans ma mission, j’aurais tellement à dire tant ces amis me sont précieux ! Je reviens endettée de tout ce que j’ai reçu. Ce n’est pas une dette qui me pèse, car chaque moment m’a fait grandir et m’a rendue plus heureuse. Heureuse, alors même que je me rendais compte de mes limites, des limites des autres, de la misère que nous ne pouvons pas fuir. Que nous choisissons de ne pas fuir. J’ai appris que Dieu utilise toutes les circonstances pour nous montrer qu’Il nous aime, et qu’Il nous promet à son Royaume, car nous sommes ses enfants. Abuela Victoria, une grand-mère aveugle, qui a perdu sa fille au cours de l’année, et qui porte sur ses épaules le poids d’une vie d’efforts et de sacrifices, répète sans se lasser : « Gloire à Dieu ! »
Villa Martha et le perpétuel émerveillement de l’enfance
Les volontaires du Point-Cœur de la Ensenada au Pérou vont régulièrement visiter un orphelinat. Bénédicte nous raconte ces rencontres à Villa Martha.
Villa Martha est un foyer qui accueille des enfants jusqu’à leur majorité. Certains sont orphelins, d’autres ont été placés par la justice pour un temps déterminé. Enfin, certains ont été laissés par des parents qui se trouvaient dans l’impossibilité de les élever. Parfois, les enfants rentrent chez eux et vivent de nouveau avec leur famille. Dans les murs de béton résonnent sans cesse les petits cris des enfants ou les appels des éducateurs. Dans la cour, des chiens se prélassent, profitant d’avoir un instant de répit avant que n’arrivent les enfants à la fin du jour pour jouer ensemble avant le repas. Nous longeons le bâtiment principal, de cinq étages, avec une façade grise et verte, pour entrer dans la nurserie. C’est en ce lieu que nous venons jouer avec les plus petits. Il n’y a pas de souci, tous sont extrêmement mignons ; mais tous doivent encore apprendre à vivre en collectivité. Quand nous arrivons, les réactions sont multiples. Les habitués nous accueillent en tapant des mains ou fuient en courant, riant à l’idée que l’on courra après eux toute l’après-midi. Les nouveaux — il y en a souvent — nous regardent, figés, parfois avec grande crainte. Je me rends compte que ces enfants portent des évènements lourds dans leurs histoires pourtant si nouvelles, encore si petites.
Je pense à Carlos, qui ne cessait de brandir un poing crispé, prêt à frapper quoi que ce soit et à tout instant. Ou je revois Kelvin, qui refuse de nous adresser la parole et cherche à rester seul. Il ne tient parfois qu’à un geste pour changer la situation. Francesca ne cesse de nous faire d’immenses sourires depuis que l’on a passé du temps avec elle pour jouer. Il n’y a pas d’illusion à se faire, ces enfants sont blessés. Il n’est pas naturel de ne pas être dans une famille, et peut être ont-ils en mémoire des moments difficiles vécus avec leurs parents. Mais ce sont des enfants ! Ils ne cessent de vivre au jour présent et pour eux, le passé comme le futur ont peu de poids. Ils se contentent de vivre intensément le moment qui leur est donné. Un petit exemple amusant de ce présent démesurément présent : Kaila, une petite de six ans, me voit de loin et se précipite vers moi en criant : « Je te connais, je te connais ! » Et, heureusement, je la connaissais moi aussi, car je me souvenais avoir joué avec elle, il y a de cela trois mois, dans une course-poursuite endiablée dont le seul but était de dévorer son ballon. Elle saisit une balle et fuit en criant : « On va jouer comme hier, ok ? » Hier était trois mois !
Que retenir de ces enfants ? Je viens chez eux avec les soucis du quotidien qui m’alourdissent les jambes. Durant des heures, nous jouons avec des petits qui ne cessent de recommencer les mêmes actions sans se lasser : descendre et remonter le toboggan, lancer le ballon, chercher à entrer dans le secteur réservé au personne, rien de mieux que le frisson de l’interdit, etc. Avec le même émerveillement que s’ils venaient tout juste de commencer cette action. Et, peu à peu, j’appris à passer de cet état de frustration propre aux grands (« Bien… ne voudraient-ils pas un peu changer de jeu ? ») à cet émerveillement du temps présent, ce temps privilégié à jouer avec eux. Il nous faudrait être comme ces enfants dans tout ce que l’on entreprend dans notre journée, que ce soit cuisiner, visiter les amis, étendre le linge… Que chaque chose soit nouvelle ! Et cela, pour nous, n’est possible que si nous le faisons avec amour. Si nous avons conscience que chaque petit geste compte, et qu’il mérite en cela d’être bien fait.
Je me rends compte de l’importance de tout cela dans la vie communautaire que nous avons à la maison de la Ensenada. Habiter ensemble c’est bien, mais pour vivre ensemble, c’est un pas de plus qui doit être fait ; un petit pas d’amitié qui est posé dans le quotidien. Cela nous empêche de nous croiser dans le couloir comme le feraient deux bateaux dans le sommeil d’une nuit brumeuse : ils échangent les « bwoooot » de rigueur et se limitent à cela. Les moments de prière sont l’occasion de faire l’unité de la communauté, unité dans le Christ. Il fait cela à perfection.
Les reines du Point-Cœur de la Enenada
Ces deux reines que Bénédicte nous présente, sont Abuela Gladys et Palmira, des piliers du Point-Cœur de la Ensenada au Pérou.
Gladys est une vieille amie de notre Point-Cœur. Elle est un miracle à elle seule ! En effet, depuis trois ans, elle part faire des dialyses trois fois par semaine. Les médecins ne lui avaient pas donné deux ans pour survivre, d’autant qu’elle ne se ménage pas vraiment ! Mais elle est encore là, à venir nous visiter quasiment tous les jours. La coutume de ses visites a mis en place comme un cérémonial scrupuleusement respecté. Elle frappe, on ouvre. La porte laisse place à son visage tout ridé, elle nous regarde de son unique œil et s’écrie : « ¡ Ola Mami ! ». Elle entre en peinant sous le poids de son fourrage qui servira à nourrir ses cuys1, et s’installe sur le siège en plastique blanc qui est devenu son trône, car elle est notre reine. Elle reste ainsi parfois des heures à régner, en discutant avec ses princesses (oui, nous avons été proclamées princesses), tout en sirotant son thé à l’anis. Elle nous chérie tellement. Presque autant que ses cuys (1), c’est dire ! Cette femme fait preuve d’un courage extraordinaire face aux souffrances qu’elle endure. De plus, ses dialyses la laissent chaque fois sans force. Un soir, nous nous apprêtions à commencer notre repas en communauté, quand Gladys vint, pleurant de douleur et de peur, la poitrine ensanglantée. Elle avait heurté le tube qui sert à effectuer ses dialyses et le sang coulait. En deux minutes notre maison s’est transformée en hôpital de campagne, le temps qu’une amie infirmière s’occupe de la blessée. Gladys demeurait inquiète, tourmentée par ses problèmes du quotidien qui semblaient tous refluer en cet instant. Mais une fois le pansement refait, sur le chemin de sa maison, elle se remit à rire et à parler de ses cuys. C’est pour moi un formidable témoignage d’espérance et de foi. Sa vie, avec ses souffrances continuelles, n’a de sens que parce qu’elle a confiance en Dieu qui ne l’abandonne jamais. Elle me fait penser au pauvre Lazare dans l’Evangile (Luc 16, 19-‐31), qui se voit attribuer une place de choix auprès de Dieu alors qu’il avait été rejeté du monde durant toute sa vie.
Je pense aussi à Palmira et à son espérance qui a su défier les vagues de malheurs qui auraient pu la submerger. Cette femme a vécu des choses dures. Sans compter qu’elle se fait âgée : cette année elle ne pouvait aller au cimetière visiter son mari car elle ne peut marcher sans douleur. Six de ses neuf enfants moururent d’une maladie génétique, trois de ses petits‐enfants et son mari de même. Cela, elle nous le raconte en tricotant, et en commentant les attaques répétées de son canard contre le chien. J’admire cette dame, dont chacune des rides paraît taillée par l’épuisement et le chagrin de veiller, puis perdre, ses enfants et son époux. Elle vit, et je pense que c’est pour elle une raison suffisante pour ne pas se plaindre de ce qui lui arrive. Mais surtout, elle vit avec espérance. Il y a presque une insolence à vivre avec espérance : ce n’est pas logique ! On pourrait plutôt avoir envie de s’enfuir, de quitter ce monde de souffrance, parfois en s’enfermant dans un rêve sans retour. Face à la réalité et son lot de malheurs, l’espérance fait de cette femme un exemple pour nous tous. Elle se contente de vivre, et elle le fait bien. Chose marquante : elle nous a raconté l’histoire de sa famille le jour des défunts. Je m’aperçois qu’elle vit avec la conscience très forte d’une vie nouvelle, une fois passé le seuil de la mort.
(1) Cuy : cochon d’Inde. Au Pérou, la viande de ces petits animaux est très prisée. Les Péruviens sont toujours étonnés quand ils apprennent qu’en France les cuys ne sont vus que comme des animaux domestiques, d’utilité décorative.
Elvira, un départ vers le ciel et un départ du Pérou
Adrien vient de terminer sa mission à la Ensenada au Pérou, il nous laisse le cadeau de ce visage d’Elvira qui est juste décédée quelque temps après son départ. Une visage, un témoignage, une grande reconnaissance…un retour en France !
Je veux vous parler d’une grande femme qui a rejoint la maison du Père, il y a quelques semaines : Elvira. Je n’avais pas spécialement pensé vous en parler, avant d’apprendre la nouvelle de sa mort, début janvier, par mes sœurs de communauté restées sur place. Je voudrais rendre témoignage à cette femme qui, par sa fin de vie crucifiée, nous a montré le Père qu’elle est allée rejoindre. Je veux vous parler également d’elle car son histoire résume le sens de la mission de Points-Cœur, montrer l’Invisible. Elvira est la fille d’Abuela Victoria, connue mondialement pour la croix qu’elle a faite construire et ériger au sommet de la Ensenada, il y a plus de quinze ans, avec l’aide des Amis des enfants. C’est une amie fidèle depuis longtemps. La foi et le fort caractère de la Abuela sont connus de toute la Ensenada. Sa fille, Elvira, âgée d’une soixantaine d’années, était, depuis plusieurs années, atteinte d’une fibrose pulmonaire qui la rendait toujours plus cadavérique. Assise sur un canapé au milieu d’un courant d’air, Elvira passait toute la journée avec sa maman, souvent endormie dans la chambre d’à côté ; ses six enfants vivant tous près d’elle. Souvent, lors de mes visites, je trouvais Elvira dans une sorte de détresse, de solitude un peu absurde a priori, puisqu’en réalité elle vivait avec l’ensemble de sa famille. Tous étaient près d’elle. Ses petites-filles la soignaient et sa maman était là. Mais, pour Elvira, c’est comme si elles n’y étaient pas. Quelque part, la soif de présence d’Elvira ne pouvait être comblée par les membres de sa famille. Et cela la rendait angoissée, car elle se sentait vraiment seule. Personne ne pouvait rejoindre la souffrance qu’elle supportait, et qui s’en prenait à son corps chaque jour. Parfois, nos passages étaient des rayons de soleil pour elle. D’autres fois, nous ne pouvions la consoler. Le cœur du mystère de la compassion se révélait particulièrement dans mes relations avec elle. Je ne pouvais comprendre son mal, ni la raison de celui-ci, mais j’étais auprès d’elle, essayant de la rejoindre au plus près de sa souffrance, notamment par la prière. Cette souffrance, chez Elvira, était comme sous-tendue par une foi inébranlable dans la miséricorde du Père. Son chapelet autour du cou, elle n’hésitait pas à prier avec sa mère à tout moment. La Abuela étant, d’ailleurs, en action de grâce permanente pour les merveilles de Dieu. Il y a une grande part de mystère, Mystère qu’Elvira voit maintenant dans son face-à-face avec le Père. Enfin, nous prions pour cela.
Cette petite histoire de l’ordinaire de la vie d’un Point-Cœur, de la vie du monde sûrement, me marque profondément dans mon retour au pays. Je crois que c’est grâce à ce type de rencontre que je reviens changé dans ma patrie. J’espère, et je compte sur vos prières aussi, que ce regard d’émerveillement sur mon pays, et sur ceux qui le peuplent, ne s’éteindra pas. En partant, je me suis demandé, un peu comme à mon arrivée, quel était réellement le sens de ma présence ici, et, maintenant, de mon départ. Pourquoi être venu quelques mois seulement au cœur de ce si beau peuple, qu’il faudrait des années pour réellement découvrir ? C’est un mystère et cela le restera. Mais l’expérience vécue montre que tout cela ne peut prendre son sens profond qu’en Dieu, qu’en se rappelant chaque jour que je suis créature de Dieu, et que j’ai à mendier l’humilité du cœur. Dieu m’a appelé à la Ensenada pour donner ce temps, Il a inscrit en moi des visages qui me font voir son Visage. Spécialement avec les enfants. J’ai découvert comme un trésor avec eux. Dans leur simplicité, et dans leur innocence, et dans leur émerveillement, j’ai découvert à quel point ma vocation est d’être un éveilleur de la beauté de l’homme et du monde. En vivant en France, je me rends compte que je suis comme émerveillé par mon pays, par ma région, par sa particularité, par son climat, etc. J’ai comme un nouveau regard sur cette réalité qui a toujours été la mienne. Je crois que ce sont particulièrement les enfants de la Ensenada qui m’ont appris cela. Ils ne sont pas si différents des enfants de France, mais je leur en suis pour toujours reconnaissant.
Quand la photographie révèle le regard des enfants de Pachacutec…
Dans ce quartier de la Ensenada au Pérou, Adrien en visite pour dire au revoir, se laisse surprendre par le regard d’Angela. L’art photographique des enfants dévoile leur regard sur la réalité.
Depuis plusieurs années, le Point-Cœur de la Ensenada entretient une amitié forte avec plusieurs familles d’un quartier au nord de la Ensenada appelé Pachacutec. Ce quartier est construit au milieu de dunes de sable, face au Pacifique. A priori, ça fait rêver. La réalité est un peu différente de ce qu’on pourrait imaginer. C’est un quartier particulièrement sale, sans aucune route bétonnée, sans eau courante, sans tout-à-l’égout, ce qui rend la vie quotidienne assez difficile. La famille que nous connaissons particulièrement est celle de Mathilde. Mathilde est une femme d’une quarantaine d’années aux yeux bleus et à la peau claire (dénotant un peu de la péruvienne type Daniel et Patrick plutôt petite et à la peau foncée). Elle a quatre enfants : Katy (vingt ans), Cielo (onze ans), Angela (huit ans) et Hannah (cinq ans). Alors qu’habituellement leur maison est en désordre, cette fois-ci nous la trouvons impeccable : propre et rangée ! J’y vois le signe d’un grand effort pour nous accueillir et j’en suis particulièrement touché. Les filles sont heureuses de pouvoir jouer avec nous. Je sors mon appareil photo et il attire immédiatement l’attention d’Angela. Elle veut savoir comment il fonctionne. Je lui explique en la laissant faire — tout en étant un peu anxieux qu’elle mette ses doigts sur l’objectif… mais je finis par lui faire confiance tout en restant vigilant. Nous prenons en photo sa maison et ses nombreux animaux : poules, coqs, chien, chats. Je lui demande ce qu’elle trouve de beau ici. Elle répond immédiatement : la mer. Nous nous y approchons alors et la photographions. Le ciel nuageux nous fait une faveur en s’entrouvrant et en laissant passer des rayons du soleil. Puis, nous remarquons des fleurs que nous photographions en essayant de faire ressortir leur plus bel aspect. Puis des papillons viennent comme des petits signes d’éternité. La petite Hannah, qui nous suit, nous fait remarquer un plant de tomates qui a miraculeusement poussé tout seul dans le sable au milieu des poubelles. Nous le photographions. Je suis impressionné par le regard de ces enfants et d’Angela en particulier et par le « pouvoir » de l’art photographique (même si nos photos ne sont pas éblouissantes) : celui de révéler la beauté d’une réalité sans la changer. C’est exactement le sens de notre mission avec Points-Cœur. Cette après-midi à Pachacutec m’aura révélé beaucoup sur le sens de ma présence au Pérou, en mission : ne pas chercher à changer les choses et les personnes parce qu’elles me révoltent mais essayer de découvrir la beauté cachée, le trésor de chacun de nos amis pour m’en émerveiller.
Art de communiquer et ‘bégaiements enthousiastes’ d’un début de mission.
Dans ce quartier du Point-Cœur de la Ensenada où Bénédicte est arrivée, les enfants et amis deviennent ses professeurs. Dans cet art de communiquer se découvre toute la bienveillance de chacun.
Je débarquais sans réellement parler espagnol, mon apprentissage avait commencé au mois de juillet. Mais nos amis commencent à s’habituer à voir arriver quelques volontaires un peu perdus au début. Ils font preuve d’une bien grande patience vis-à-vis de mon bégaiement enthousiaste. Les enfants s’improvisent professeurs ou sont là pour me rappeler que je suis bien moins initiée qu’eux dans la pratique de l’idiome. Par exemple, je faisais remarquer à Alejandro, un an et huit mois, qu’il savait plus de choses que moi pour décrire les parties du visage (mais moi je sais loucher et pas lui). Bref je reçois-là une magnifique leçon d’humilité qui a, en fin de compte, beaucoup de points positifs ! Car je crois que je gagne en patience, et j’observe plus ce qu’il y a autour de moi. Ainsi je regarde les décors, les habitudes, je note les manières de communiquer, j’apprends à connaître la personne plus parce qu’elle est face à moi que par ce qu’on m’en raconte. Egalement, je suis sûre que cette partie de la mission est importante car on ose se faire demandeur de l’aide des autres. J’ose quitter mes vingt ans de pratique de langage pour me pencher et demander à une petite fille de m’épeler le mot « trousse » en espagnol. J’ose faire confiance aux gens de ma communauté pour beaucoup de détails du quotidien, je m’appuie beaucoup sur leur bienveillance envers moi. Oui, je pense que le mot qui domine en ce début de mission est celui de bienveillance. Mes sœurs et mon frère de communauté ne cessent de découvrir mes qualités et mes défauts, et réciproquement. Cette bienveillance les anime et m’aide à toujours plus m’enraciner dans ce quartier, car je sais qu’ils n’attendent pas l’impossible de ma part. Ils ne me demandent pas de gommer mon caractère pour être à peu près acceptable selon un critère d’excellence fixé préalablement. Je peux tout simplement être moi-même ! Je pense que cette bienveillance ne peut pas être aussi forte sans une certaine démarche de foi envers Dieu. « Seigneur, ma sœur est vraiment une curieuse petite personne, mais parce que tu l’aimes parfaitement, je vais m’accrocher à Toi pour l’aimer tout autant ».
Le mystère des larmes du départ…
La « despedida », ou les « aurevoirs », sont un moment particulier de la fin de la mission où l’on réalise combien l’on a donné et surtout combien l’on a reçu. Guillaume, à son départ de Point-Cœur de la Ensenada au Pérou, expérimente la beauté de ces larmes.
Me voilà de retour en France, et il est temps de vous raconter la fin de mon année à Lima, avec mes chers amis. Ces six dernières semaines ont été vécues bien différemment car il m’était difficile de faire abstraction du prochain retour. En même temps, elles ont été pleines de beaux moments, chargées d’émotion, car j’ai beaucoup visité mes amis du quartier avec mes frères et sœurs de communauté. La beauté des amitiés tissées a été comme revalorisée, a pris toute son intensité. Le soleil n’est jamais aussi beau que lorsqu’il se couche, ainsi en va-t-il de ma mission. C’est malheureusement souvent ainsi : nous prenons conscience de la beauté de ce que nous vivons quand cela se termine !
Ah vraiment, on ne quitte pas ses amis comme on change de vêtements, c’est un véritable arrache cœur, bien que vécu dans la lumière de la foi. Donc dans l’espérance de se revoir, si ce n’est sur la terre, au moins dans le sein de Dieu. A quel point on peut s’attacher à des êtres, je l’ai vérifié dans l’avion qui m’éloignait peu à peu de Lima et me ramenait vers Madrid. Alors que je survolais Lima, j’ai récité avec tout mon cœur une prière d’action de grâce à mon Père du ciel, le remerciant pour tout ce qu’il m’avait donné de vivre pendant ces dix petits mois. Et je me suis mis à pleurer à chaudes larmes, comme un enfant. Moi qui avais été si près des enfants pendant plusieurs mois, en arrivant bien peu de fois à capter et imiter leur simplicité, voilà que je me suis retrouvé tout frêle, vulnérable, à nu. Moi qui, pendant tous les derniers jours de « despedida », n’avais pas réussi à pleurer avec mes amis qui pleuraient, voilà que toute ma gratitude et ma joie de les avoir connus se déversaient dans ces larmes. Je ne pensais pas me retrouver dans une telle situation, je pensais revenir froidement vers la réalité qui m’attendait sur l’autre continent. Mais non, ces quelques mois avec Points-Cœur ont fait leur travail dans mon cœur. Ils l’ont rendu plus humain, plus sensible, plus vulnérable, donc plus ouvert à la caresse de l’amour divin, « un cœur de chair » ! Ce n’est pas en vain que l’on apprend la gratuité, la valeur si grande de l’instant présent, la valeur immense de chaque personne qui se trouve devant soi. Et maintenant que je suis repris dans le tourbillon de la vie quotidienne, ces instants de pure gratuité me reviennent en mémoire et me pressent comme un aiguillon. Salutaire aiguillon, afin que je vive le charisme Points-Cœur, en fin de compte celui de l’évangile incarné, dans les instants les plus ordinaires de la journée. Dieu tisse son histoire d’amour avec chacun de nous à travers les événements qui se succèdent, bons ou mauvais. A moi de les accueillir, avec les yeux de la foi… « Pour ceux qui aiment Dieu, tout concourt à leur bien », dit saint Paul, inspiré (Romains 8, 28). Et dans l’avion, je n’ai trouvé personne pour me consoler, peut être y avait-il quelques yeux étonnés de voir un gaillard pleurer ainsi. Moi qui ai tant aimé consoler les personnes qui venaient à la maison du Point-Cœur, je me suis retrouvé seul, sans une main pour se poser avec amour sur moi. C’est fou à quel point nous avons besoin d’être aimés ! Mais quel bien cela fait-il, d’aimer sans penser trop à soi-même. « Seigneur, fais de moi un instrument de ton amour, là où il y a la haine, que je mette l’amour… » Quel grand mystère ces larmes… On a l’impression que Dieu nous a fait capables de pleurer pour nous rappeler notre origine : l’amour et notre maison familiale où nous sommes tous appelés ; l’amour parfait vécu en Dieu. Je pleure rarement, mais quand cela vient, je sais que Jésus, qui pleura à la mort de la Lazare, passe en moi et déverse des flots de grâce. La larme, lorsqu’elle coule sur la joue, est comme une libération, elle exprime, dans toute son objectivité magnifique, ce qui habite notre cœur. Je suis touché en plein cœur, je pleure. Comme c’est beau et bon de pleurer ! Halte aux gros durs qui ne veulent jamais laisser voir leurs sentiments, c’est antihumain. Belle larme, tu es pure, tu laves, tu libères une peine ou une joie intérieure pour la manifester au grand jour !
Une « despedida » pour un à-Dieu…
A la Ensenada au Pérou , Adrien vit un nouveau départ de volontaire, une « despedida », moment de séparation mais aussi de communion, d’amitié profonde.
Le mois de janvier a été marqué, dans notre communauté, par le départ de Maria. Elle est rentrée en Suisse après seize mois d’une belle mission à la Ensenada. Elle était la dernière représentante de l’ancienne communauté (renouvelée entièrement depuis septembre). La période qui précède le départ d’un volontaire est traditionnellement appelée à Points-Cœur : « despedida » (ce qui signifie « départ » en espagnol). Ce temps est toujours un moment intense où se mêlent une sorte de souffrance et de grâce. J’aimerais vous parler de cela. Bien sûr, il y a les larmes et les suppliques des amis qui, depuis vingt-trois ans, voient défiler les volontaires avec qui ils lient une amitié forte et qui, quelques mois plus tard, s’en retournent à leur pays. Nos amis restent à la Ensenada et ceux qui rentrent ne donnent pas beaucoup de nouvelles. Au premier abord, on pourrait croire que cette amitié est perdue, qu’elle ne vaut plus rien, que tout ce qui a été construit n’est qu’un feu de paille… Mais en vivant Points-Cœur, je me rends compte qu’un certain mystère se cache derrière cela ; derrière cette apparence, quelque chose de plus profond… C’est comme si Dieu voulait m’éduquer à voir plus loin, à adopter sa « méthodologie », celle de l’Eternité… Il y a comme une grâce avec Points-Cœur dans la manière de vivre chaque amitié. Le temps de la despedida est comme un concentré de la façon dont est vécue chaque amitié. En premier lieu, ce n’est pas une amitié avec tel ou tel volontaire mais avec le Point-Cœur. Pour moi, nos amis restent fidèles à visiter le Point-Cœur et ceux qui y consacrent un temps car je pense qu’on y vit quelque chose de la communion des saints. L’Église nous invite à croire, par le Credo, dans la « résurrection de la chair et la vie éternelle ». C’est ici que semble se trouver la clé pour entrevoir le mystère de l’amitié vécue avec nos amis. Dans cette perspective, l’amitié construite ici à la Ensenada n’est pas perdue. L’amitié ne meurt pas par la séparation physique mais est belle est bien appelée à la résurrection en Jésus le jour de notre mort. Alors, bien sûr, la despedida est toujours une « petite mort », celle de notre petite conception humaine de l’amitié. Mais ne suis-je pas parti avec Points-Cœur à l’autre bout du globe justement pour « mourir » à mes petites conceptions humaines et à m’ouvrir à la « méthode » de Dieu, celle de l’Amour ? Et la méthode de Dieu n’est-elle pas celle de la communion par le Christ de tous les hommes ? Je crois que Points-Cœur nous éduque un peu plus à cela, et par là éduque aussi nos amis qui l’expérimentent depuis maintenant vingt-trois ans. De fait, señora Alfonsina par exemple (voisine et première amie du Point-Cœur) a une myriade d’amis aux quatre coins de la terre et espère bien les retrouver tous dans la Jérusalem Céleste. J’oserais même dire que c’est son vœu le plus cher. Nous vivons des choses fortes et lorsqu’il est temps de s’en aller, nous nous efforçons de nous en remettre à Dieu qui « fait toute chose parfaite » (Ecclésiaste 3, 11). Quelle leçon d’humilité et d’abandon ! Nos amis l’ont souvent bien mieux compris que les volontaires eux-mêmes et nous montrent le chemin pour faire confiance à Dieu. Voilà une des conséquences d’une despedida. En réalité, il y en a une autre, plus interne, qui concerne la communauté. Le départ d’un membre de la communauté bouleverse le visage de la communauté toute entière. Certains partent et d’autres vont bientôt arriver : Denise qui débarque d’Argentine le 11 mars – priez pour elle. Lorsqu’il y a un changement de communauté, cela nécessite la recherche d’un nouvel équilibre. Comme pour les amis du quartier, il y a une part de souffrance et de grâce. Il y a aussi des pleurs bien sûr… Mais c’est comme si Dieu nous donnait de nouvelles forces pour la mission. C’est le moment de se redécouvrir les uns les autres, d’ouvrir encore plus notre cœur pour nous aimer davantage, pour être plus attentifs à nos amis…
Auprès de Gladys, j’apprends à aimer
Claire est au Point-Cœur de Lima au Pérou depuis quatre mois. Elle nous présente Gladys, âgée et malade. Elle nous décrit combien elle aime ces amis et ce pays qui devient sien.
Je suis là désormais depuis quatre mois et je prends davantage conscience de l’importance de notre présence. L’autre jour, je suis montée voir une amie qui s’appelle Gladys, une amie qui est sous dialyse depuis deux ans et qui vit seule depuis quelque temps. C’est très difficile car elle est dialysée trois fois par semaine et se trouve de plus en plus faible. Elle ne peut plus rien faire dans sa maison alors régulièrement, nous allons lui donner un coup de main. Pour elle, c’est très dur de ne pouvoir plus rien faire. L’autre jour, en arrivant chez elle, elle était assise sur son canapé et regardait ses factures qu’elle avait à payer et les médicaments qu’elle devait acheter. Je me suis assise à côté d’elle et elle s’est mise à pleurer. Elle s’est effondrée… Elle me disait qu’elle n’en pouvait plus de vivre comme cela, de ne pouvoir rien faire. Elle fait les aller-retours pour ses dialyses toute seule à chaque fois. Je l’admire beaucoup car c’est très fatiguant de prendre les transports à Lima et encore plus après une dialyse. Je me demande vraiment parfois comment elle est parvenue à rentrer chez elle, car nous la rencontrons très souvent mal en point ces derniers temps. Elle revient chaque fois plus faible qu’avant. Elle est incroyable car malgré tout ça, je ris énormément avec elle ! Elle garde une joie intérieure qu’elle sait nous transmettre et je partage de très bons moments en sa compagnie. Elle a un courage incroyable à mes yeux. Elle compte beaucoup pour moi, confiez‐la dans vos prières, s’il vous plaît. Il y a tellement de personnes dans le besoin ici. Ce n’est pas facile tous les jours car je voudrais être là pour tous mais ce n’est pas possible. Je prie donc pour eux, pour tous ces gens qui sont dans le besoin. Je les laisse dans les mains de notre Seigneur. Les plus pauvres sont ceux qui ont une grande espérance ici et qui ont une foi très profonde car sans foi il n’y a pas d’espoir. Cette espérance que possèdent les personnes de mon quartier est très marquante et m’a beaucoup appris. Cela m’aide beaucoup chaque jour dans ma mission. Cette mission pour moi est une grâce. J’apprends tellement de mes rencontres et ma foi ne cesse de grandir. J’apprends de la vie en communauté. Chaque chose que nous faisons ici, nous apprenons à le faire avec amour pour Dieu et pour les autres. Apprendre à faire les petites choses avec amour, apprendre à se donner aux autres, ouvrir son cœur à toutes les personnes que je rencontre, être présente. Je ne suis pas venue ici pour « faire » mais pour « être », être auprès des plus pauvres d’entre les pauvres. Nous sommes ici pour aimer. Et j’aime ce pays où je suis, ces personnes que j’ai rencontrées, cette nouvelle culture, je me sens ici comme chez moi. Les amies du quartier me font me sentir comme chez moi. Et toutes ces petites choses font que je suis un peu plus heureuse chaque jour.
Que suis-je venu chercher ici ?
Après quelques semaines dans ce quartier de La Ensenada à Lima, Adrien reconnait qu’à chaque rencontre, il va de surprise en surprise…

Devant la maison de Yanette avec Tais (à droite), Luis (à gauche) et Marie, volontaire avec Miguelita.
La Ensenada n’est pas réellement le quartier où affluent le plus de touristes à Lima. Ce quartier est particulièrement poussiéreux et à première vue ne fait pas rêver… Pourtant, ce quartier va m’apprendre que la beauté peut être ailleurs que dans les vieilles pierres ou les allées de platanes provençales que j’ai toujours connues. La beauté est véritablement ailleurs et se dessine sur les visages des habitants de ce quartier qui, dans un grand sourire, nous saluent à toutes les heures de la journée.
Je suis saisi, lors d’une de mes premières visites, par une famille qui est dans cette situation : Yanette (vingt ans) vit dans une minuscule maison faite de matériaux de récupération avec ses trois enfants dont la plus jeune n’a que quelques mois. Peut-être l’un des plus beaux accueils que j’ai reçu depuis le début par des enfants. La soif d’une présence dans un environnement où règne la violence et des conditions de vie bien difficiles.
En visitant Abuela Rosa et son mari Victor (respectivement quatre-vingt dix et soixante-quatorze ans), une question jaillit en moi : que suis-je venu chercher ici ? En fait, pourquoi être parti de mon petit confort, de ma petite ville bourgeoise d’Aix pour vivre ici dans la poussière ? Avant de partir, et j’ai pu le partager avec beaucoup d’entre vous, j’avais cette certitude au fond de moi que mon lieu et ma place était dans cette mission, à la Ensenada. Mon arrivée à la Ensenada n’a pas été aussi évidente. C’est l’inconfort, le mal être qui dominent. J’ai été envoyé par Dieu, par l’Eglise pour une raison précise, pour me faire comprendre quelque chose de son grand Mystère. Ce mystère se résume en un mot : la Rencontre. Alors mon regard se pose sur ce couple de cinquante années de vie commune. Ils vivent dans des conditions insalubres et l’Abuela Rosa est clouée au lit depuis plus de vingt ans. Et ce n’est pas un lit médicalisé… Mais finalement ce qui me touche le plus c’est son mari qui la contemple avec le même émerveillement que lors de leur première rencontre. A priori, l’Abuela est vieille, laide, sale, presque aveugle… Mais pourtant, elle est l’objet de l’émerveillement de son mari ! Quel paradoxe ! Quelle beauté ! Comment cet homme peut-il s’émerveiller de cette façon devant son épouse ? Le mystère que je contemple est bien celui de l’amour qui les unit depuis toutes ces années. Ainsi n’est-ce pas à cette attitude d’émerveillement continuel que je suis appelé à être enfanté ici, dans cette mission ? Contemplation de la beauté de l’Abuela comme de tant d’autres amis du quartier. Alors ce sont déjà les visages des enfants qui m’ont accueillis par un : « Te queremos Adrian » (Nous t’aimons Adrien). Que de découvertes à travers tous ces visages qui me seront offerts durant toute cette mission sur cette terre qui m’accueille. Ce voyage est plein de surprises et de rencontres qui, à n’en pas douter, bouleverseront ma vie.
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